En 1987, Dawit Isaak, célèbre journaliste, écrivain et dramaturge, a fui son pays natal qu’est l’Érythrée pour la Suède où il obtint le statut de réfugié. Bien qu’il ait également pris la nationalité suédoise, il décida de rentrer en Érythrée en 1993, lorsque s’acheva le sanglant conflit opposant depuis 32 ans le pays à son voisin, l’Éthiopie. Désireux de développer la presse indépendante du pays, Dawit Isaak co-fonda le premier journal indépendant, Setit, qui se tailla une réputation à l’échelle nationale pour son journalisme d’investigation couvrant souvent les abus de pouvoir du gouvernement.
Pour comprendre à quel point l’Érythrée bafoue la liberté de presse et se rendre compte de l’horrible situation à laquelle sont confrontés Dawit Isaak et d’autres journalistes indépendants, quelques explications complémentaires sont nécessaires.
L’Érythrée est placée au tout dernier rang du classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse, même derrière les candidats habituels bien connus pour violer la liberté d’expression. Lorsqu’un pays est encore pire que la Corée du Nord, l’Iran et la Birmanie, pays qui régulièrement font toujours la Une des journaux en matière de violation des droits de l’homme, on peut dire à juste titre que la situation est catastrophique. L’Érythrée est placée cette année pour la quatrième fois consécutive au dernier rang du classement et il est grand temps pour les médias internationaux de faire un peu de lumière dans les sombres recoins de cet État en déliquescence.
Les médias indépendants n’existent tout simplement pas en Érythrée. En septembre 2001, lorsque les yeux du monde entier se tournaient vers les États-Unis à la suite de l’attaque terroriste, le gouvernement érythréen interdit sans autre forme de procès la presse privée sous le prétexte qu’elle « présentait un risque pour la sécurité nationale ». En mai de la même année, 15 membres du gouvernement (des hommes politiques du mouvement réformiste nommés par la suite le groupe G 15), publièrent une lettre ouverte qui réclamait des réformes démocratiques et une analyse détaillée des événements menant à la guerre récurrente entre l’Érythrée et l’Éthiopie. (En 1998, les hostilités avaient repris entre les deux pays en raison d’un conflit frontalier qui aboutit à l’envoi de Casques bleus de l’ONU dans la zone frontalière et l’établissement d’une zone de sécurité pour les séparer). La lettre de protestation du groupe G 15 fut publiée par la presse indépendante, notamment par le journal de Dawit Isaak, qui poursuivit en publiant une série de lettres ouvertes similaires au président Issayas Afeworki demandant de considérables réformes démocratiques. Le gouvernement riposta promptement et, en guise de représailles, mit fin à toute liberté civile en Érythrée fin septembre.
De nombreux journalistes furent arrêtés ou emprisonnés, dont Dawit Isaak. Sans chef d’accusation ni procès jusqu’à aujourd’hui, ils ont tous été traités de traîtres, accusés de recevoir une aide financière de l’extérieur – ce qui est considéré comme une trahison d’après les lois érythréennes sur la presse. Selon certains rapports, quatre des journalistes détenus depuis 2001 auraient déjà trouvé la mort en prison. Jusqu’à aujourd’hui, nous ne savons pas où se trouve Dawit Isaak.
Dans un pays où deux tiers de la population – qui se monte à 5,2 millions d’habitants – dépendent de l’aide humanitaire et où l’armée est le secteur employant le plus grand nombre de personnes, il serait urgent qu’une presse indépendante aborde ces problèmes, assure une certaine transparence et stimule le débat sur le développement du pays. Le président Issayas Afeworki, élu en 1993 à la suite de l’âpre guerre pour l’indépendance du pays, œuvre au renforcement de son pouvoir tandis que l’Érythrée continue de dégringoler de tous les classements internationaux en matière de développement. Les élections présidentielles prévues en 1997 n’eurent jamais lieu et le pays est depuis gouverné par un parti unique qui isole de plus en plus la population du reste du monde.
Le gouvernement de Suède et les médias suédois ont entrepris de nombreux mais vains efforts pour faire sortir Dawit Isaak. Le gouvernement érythréen a clairement dit que sa double nationalité suédo-érythréenne était sans importance. Cette prise de position se reflète dans les propos du président Issayas Afeworki prononcés en public en 2009 : « La Suède ne me concerne pas. Elle n’a rien à voir avec nous ».
Une interview controversée entre la Suède et le président attira l’attention des organismes de surveillance des droits de l’homme lorsque Issayas Afeworki déclara sans ambages qu’il n’était aucunement prévu de relâcher Dawit Isaak ou de lui accorder un procès aboutissant à un chef d’inculpation officiel. L’interview publiée le 26 mai 2009 déclencha un tollé général dans le monde, le président érythréen refusant toute discussion sur l’emprisonnement de Dawit Isaak et déclarant sans aucun scrupule : « Nous ne lui accorderons jamais un procès et nous ne le relâcherons jamais. Nous savons parfaitement comment traiter les gens de son espèce. »
Le frère de Dawit Isaak, Essayas, qui vit également en exil en Suède, mène depuis neuf ans une campagne de solidarité destinée à libérer Dawit, « Free Dawit ». Il est devenu une des rares voix de la communauté érythréenne en exil dénonçant les actions du gouvernement et appelant au changement. « Je suis le seul à dire tout haut ce que je pense. Mais je sais que les autres ont peur », a-t-il expliqué dans une récente interview avec la WAN-IFRA.Entre temps, l’association suédoise des éditeurs de médias et un grand nombre de ses membres se sont activement engagés dans la campagne pour la libération de Dawit Isaak. « Être un bon journaliste sans faire de compromis nécessite un grand courage et Dawit Isaak est un modèle pour beaucoup », affirme Tomas Brunegard, CEO du groupe Stampen et président de l’association suédoise des éditeurs. Dans une des dernières lettres ouvertes publiées avant l’arrêt de Setit, le journal déclarait : « Les gens peuvent endurer la faim et d’autres problèmes pendant longtemps, mais ils ne peuvent tolérer une mauvaise administration et une mauvaise justice. » Essayas Isaak, se remémorant le dernier repas pris avec Dawit avant qu’il ne reparte pour sa chère patrie, se souvient de sa conviction : « Nous allons apporter la démocratie à l’Érythrée », avait-il affirmé. Bien sûr, il aurait pu rester ici… mais il eut le courage de retourner et d’essayer d’introduire un changement. »
Neuf ans ont passé, pour Dawit Isaak et tous ceux qui luttent pour le respect des droits de l’homme en Érythrée, il est temps que ce changement arrive.
Visitez le site Web de la campagne Free Dawit.