Sous le président Ben Ali, les médias tunisiens étaient utilisés comme outil de propagande pour promouvoir les réalisations du gouvernement et férocement attaquer ses détracteurs. Les journalistes et rédacteurs indépendants ainsi que les militants de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme et les voix critiques de l’opposition ont été mis au ban et ont passé plus de 20 ans à supporter les foudres du dictateur. Les entreprises de presse étaient fermées, les journalistes régulièrement emprisonnés.
L’euphorie de la révolution persiste, mais la réalité qui émerge est celle d’une société qui a désespérément besoin de se réorganiser. « Il y a un avant et un après Ben Ali », explique Lotfi Hajji, le correspondant tunisien d’Al Jazeera et ancien chef du syndicat national des journalistes tunisiens (SJT).
« Les organisations internationales comme TMG ont joué un rôle important qui nous a permis de parvenir à la situation actuelle, mais nous sommes encore dans une période de transition. Nous avons maintenant de grandes libertés mais il existe aussi de grands dangers. Ceux qui étaient en faveur de Ben Ali hier sont aujourd’hui en faveur de la liberté d‘expression. »
Mettre en place les conditions propices à la liberté d‘expression
Après une révolution, le rôle des organisations internationales est de soutenir les institutions qui aident à promouvoir la liberté d’expression. « Nous avons besoin d’éduquer les gens et de mettre en place des garanties pour le long terme », ajoute Lofti Hajji. « Il est manifestement important d’aider les éditeurs indépendants et de proposer des formations dans le domaine de la gestion, des finances et des questions d’éthique. Cela encouragera les bons journalistes à reprendre leur métier. »
Le professeur Larbi Chouikha de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information à Tunis (IPSI) partage cet avis mais reste prudent sur la façon dont se déroulent les choses. « Les questions clés sont comment s’assurer que les médias travaillent efficacement pendant la transition, comment les médias s’adapteront et rempliront leur rôle. Et pendant ces dernières semaines cela n’a manifestement pas été le cas. »
Tous les journalistes en Tunisie ont été formés sous l’ancien régime et un des objectifs les plus urgents est de les faire changer d’état d’esprit. « Pour les journalistes du gouvernement, il est difficile de faire la distinction entre travailler pour le gouvernement et travailler pour un média public – c’est-à-dire être au service du public et pas au service du gouvernement », continue le professeur Larbi Chouikha. « Les intellectuels ont un rôle important à jouer : ils doivent instaurer cet esprit de service public et s’assurer d’un certain professionnalisme qui est absolument essentiel vu les élections à venir. »
Soucieux des dangers potentiels suite à cette vacance du pouvoir où en l’espace de quelques jours la presse est passée à une liberté sans précédent après des années d’un régime de contrôle total, Neji Bghouri, président du Syndicat National des Journalistes Tunisiens, a été prompt à rencontrer le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, pour demander de poser des jalons concrets pour la presse. « Dans les années 1987-1988, il y a eu une certaine ouverture lorsque Ben Ali prit le pouvoir, mais la situation a été très vite renversée. Il peut arriver la même chose aujourd’hui, car la presse est encore très fragile. »
Une voix objective
La solution évoquée par les médias et les organisations luttant pour la liberté d’expression est de former une commission indépendante qui élaborerait une stratégie nationale pour les médias. « L’idéal serait que des parties prenantes légitimes se rencontrent afin de préparer l’ébauche d’un plan d’action national pour les médias », confirme le professeur Larbi Chouikha. « Il faut que nous réorganisions les médias et que nous créions un cadre institutionnel solide », affirme Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). « Depuis l’indépendance, la Tunisie s’est appuyée sur un système d’informations très classique. Il faut que nous le révisions en entier et que nous nous ouvrions à un plus grand pluralisme. Les jeunes et leur utilisation des médias sociaux nous l’ont fait comprendre. » Pendant les manifestations, les gens ont informé les médias par le biais des réseaux sociaux. « Ils savaient qu’Al Jazeera publierait leurs infos dans le monde entier et en même temps les protégerait de la répression », ajoute le correspondant d’Al Jazeera Lotfi Hajji. « La révolution des médias reste à faire », dit Naziha Rjiba, vice-présidente de l’observatoire pour la liberté de presse, d’édition et de création en Tunisie (OLPEC). « Nous pouvons maintenant nous exprimer librement et les Tunisiens souhaitent s’exprimer. Nous ne ferons plus marche arrière. »