Mario Garcia a la réputation d’être l’un des plus grands concepteurs de journaux au monde. Il la doit à ses nombreux projets où il a modifié la conception graphique de journaux prestigieux comme The Wall Street Journal, The Miami Herald et Die Zeit (Allemagne). Il considère que l’audience a la priorité et cette philosophie a marqué tous les projets numériques qu’il a entrepris.
Mario Garcia prendra la parole au 18e World Editors Forum à Vienne (du 12 au 15 octobre) lors d’une séance consacrée aux applications pour tablettes qui marchent. Dans cette interview, il nous fait part de ses réflexions sur les dernières tendances en matière d’édition sur tablettes.
WAN-IFRA : Vous avez beaucoup écrit sur cette expérience unique que les tablettes doivent procurer. Où en sont les journaux dans ce domaine ?
GARCIA : Nous faisons des progrès, mais ils sont lents. De nombreux éditeurs et rédacteurs de journaux n’ont pas l’impression que les tablettes leur rapportent de l’argent rapidement et c’est un inconvénient car, avec les tablettes, il faut être patient. Il ne fait aucun doute que les tablettes changeront la donne dans l’industrie. Mais les retombées ne sont pas pour tout de suite et se feront plutôt sentir dans trois à cinq ans. Il n’en reste pas moins que les tablettes doivent être adoptées comme support de diffusion par tous les titres le plus rapidement possible.
En matière d’applications de presse, de nombreux journaux commencent à abandonner le modèle consistant à copier leur produit imprimé et à créer de véritables applications de presse ayant un caractère propre et où toutes les possibilités du support sont exploitées. Cela prendra du temps.
WAN-IFRA : Quels journaux vous ont impressionné et pourquoi ?
GARCIA : J’aime la nouvelle édition pour tablettes que le journal suisse Tages Anzeiger vient de lancer. J’aime aussi ce que de nombreux quotidiens scandinaves commencent à faire, par exemple le journal suédois Dagens Nyheter. Je lis toujours les éditions sur tablettes d’El País et du New York Times pour leur magnifique contenu, mais elle n’ont PAS encore rompu avec l’aspect traditionnel du journal et devraient offrir davantage de vidéos et de « pop-up ». C’est bien entendu le quotidien populaire allemand Bild qui propose les meilleurs « pop-up » sur tablettes.
WAN-IFRA : De quoi les éditeurs de journaux doivent-ils absolument tenir compte pour mettre un contenu unique à la disposition des lecteurs sur tablettes ?
GARCIA : Il faut créer une édition spéciale pour tablettes, nommer un rédacteur qui en aura la charge ainsi qu’un rédacteur photo/vidéo et la concevoir de sorte que non seulement elle interpelle l’intellect et flatte l’œil, mais qu’elle tienne aussi compte des doigts qui jouent un rôle décisif sur ce type de support. Les lecteurs aspirent à un format non linéaire. Ils ne veulent pas feuilleter les pages sur leur tablette. En tout cas, pas tout le temps. Les tablettes doivent faire le bonheur des doigts.
WAN-IFRA : Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que les journaux commettent lorsqu’ils transposent leur produit imprimé sur tablette ?
GARCIA : C’est justement la pire des erreurs. Il faut abandonner cette idée de transposition, faire comme si il n’y avait pas de produit imprimé et créer un journal spécialement pour ce support. Il faut renoncer au syndrome étouffant de l’héritage et s’efforcer de créer une expérience propre aux tablettes. Il ne faut pas non plus penser que l’édition pour tablettes est une édition en ligne. Les tablettes sont une plate-forme à part qui offrent bien plus de possibilités.
WAN-IFRA : Sur votre blog vous soulignez l’importance de « penser comme l’audience ». Lorsqu’un journal développe une appli, quel est le meilleur moyen pour lui de savoir ce que veut son audience ?
GARCIA : La tablette est une plateforme pour la détente. Avec elle, les lecteurs veulent en quelque sorte déconnecter (tout en étant connectés). Ils veulent y regarder des films et des émissions de télévision, écouter la radio et lire des magazines. Bref, se détendre avec leur tablette.
WAN-IFRA : Comment un journal doit-il s’y prendre pour établir des relations interactives avec ses lecteurs ?
GARCIA : Il doit voir s’il peut personnaliser son contenu (ce que fait très bien le Tages Anzeiger). Il doit créer une édition pour tablettes qui interpelle les lecteurs. Il doit créer des « séquences de contenu » qui sont si personnelles que le lecteur ne peut plus s’en passer et y retourne tous les jours lorsqu’il met ses chaussons et s’installe dans son canapé.
WAN-IFRA : D’après une étude récente, près de 8 % des adultes américains possèdent une tablette. Ce pourcentage étant assez faible, est-il vraiment important pour les journaux de développer des applis pour tablettes à votre avis ?
GARCIA : Il ne fait aucun doute que les tablettes seront la plate-forme de prédilection pour obtenir des informations. Dans ce sens (voir la réponse à la première question), il ne s’agit pas de savoir SI un journal doit se lancer dans l’édition sur tablettes, mais plutôt QUAND et COMMENT. Tous les journaux devraient au moins avoir une édition 1.0 sur tablettes le plus rapidement possible.